TETE DE YACK

France 70 ans, souvenir de Mongolie
France 70 ans, souvenir de Mongolie

Je suis seule. Pas besoin de pivoter pour embrasser tout l’horizon ouvert dans toutes les directions. A priori  l’espace est inanimé à mes yeux d’occidentale : les troupeaux de pattes courtes, de pattes longues, de museaux chauds, de museaux froids sont partis, tôt et loin, vers les pâturages de début d’automne. Tout à l’heure, il restait un cheval entravé et la maîtresse des lieux en survêtement le matin, car le beau « deel » brun ceinturé d’orange c’est pour le soir, peut-être à cause de l’invitée que je suis. Le temps que je m’éloigne de cent mètres, tout à l’heure, elle avait dû sauter en selle sans aucun bruit car les sabots non ferrés volent sur le velours de la paillasse, les voisins ne sont pas loin, au revers abrité d’autres collines deux ou trois ondulations de steppe plus loin. Depuis une semaine, je suis une hôte, toute petite, attentive par tous mes sens à la vie de cette famille nomade. Pas de paroles échangées, juste deux mots en deux langues « merci » et « on y va » et d’immenses sourires réciproques accompagnant des gestes d’aide, de prévenance ou d’invitation. J’aime me perdre ainsi dans un ailleurs lointain et si possible hospitalier.  

 

Dans les transports publics
Dans les transports publics

Personne. Et moi béate au soleil. Je ne sens même plus ma propre existence comme si cette expérience de « bon-heur » ou d’ « heure bonne » pouvait être universelle, commune à l’homme, aux animaux et à toute la nature. Silence toujours. Un peu de vent. Puis un doux pépiement…deux ou trois moineaux (ou leurs frères)…puis dix moineaux s’abattent sur l’arène savoureuse des crottins ! Mais d’où arrivent-ils ? De chez les voisins ? La toile des pentes de yourte n’est pas un bon lieu d’atterrissage, il n’y a pas de buisson, juste les piquets des parcs  où les oiseaux se posent fugitivement, ce soir ils auront le choix de se poser sur les crinières et les croupes des troupeaux rassemblés.   A cet instant la sarabande des moineaux autour de moi est effrénée....je suis figée et hypnotisée.

Jeux d'enfant mongol
Jeux d'enfant mongol

Le silence émane de l’horizon aux douces rondeurs, il imprègne l’air à peine parcouru d’un friselis sur la steppe et enveloppe les trois yourtes inoccupées en mi-matinée. Depuis un long moment, je suis juste debout à quelques pas de la belle porte décorée d’arabesques bleues sur fond orange. Harmonie entre les couleurs vives peintes par les propriétaires, l’intensité bleue du ciel mongol et les jaunes dorés de l’herbe sèche.  Echo entre mon immobilité parfaite et le si vaste silence…

 

 Avant la steppe, Oulan-Bator
Avant la steppe, Oulan-Bator

Debout toujours - mais sans fatigue - je déguste l’air que j’inspire. Humilité d’avoir vu s’envoler les angoisses de ma vie passée qui collaient encore à mes bagages à Oulan Bator. Humilité aussi de ne pas savoir monter à cheval car je suis un peu âgée déjà. Je ne sais pas non plus  comment participer au travail du soir, la longue traite ; immobile à côté, je m’amuse des facéties des veaux et des poulains et m’enchante des mélopées des femmes. Je sais juste alimenter le feu en bouses sèches et en écorces, je peux seulement aider à convoyer les bidons d’eau laquelle est la grande absente mais l’adaptation à cette économie est astucieuse. Conscience simple des « choses » de la nature dont je ne peux connaître ni les noms ni les usages, j’imite humblement. 

 

Pour ramener le bétail a cheval
Pour ramener le bétail a cheval
Tour de steppe a moto en famille
Tour de steppe a moto en famille

Deux petites griffes dans mes boucles de cheveux gris s’emmêlent et tirent. 

Envol presque instantané. 

Confusion et surprise réciproque.

Tête de yack ! 

 

Je suis à ma place ici. 

 

Octobre 2011  ( un an après)


Mère avec son enfant
Mère avec son enfant